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  • : Le blog de PAPYCOUSTEAU
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26 janvier 2010 2 26 /01 /janvier /2010 00:12
 PETITE PLONGÉE
 
SANS FAIM HEUREUSE
 
       Dis-moi ce que tu manges,
   je te dirais ce que tu es.

Anthelme BRILLAT-SAVARIN
(Physiologie du goût).
 
          Napoléon ...
      Qui d’entre nous ne rêve de faire un jour la connaissance de cet illustre et bienveillant compagnon de plongée ? Il est le plus sympathique, le plus bonhomme et le plus amical de nos Frères de la Côte.
      Depuis des années j’avais toujours entendu dire grand bien du personnage et mon souhait, inavoué, de le rencontrer croissait au fil du temps. Ce désir se mua en une véritable impatience lorsque mon ami, Lucien D’Hondt, le Belge fondateur du bien connu Club Égyptien “Scuba Doo Diving Center”, me proposa d’aller chez lui, à Hurghada, afin d'y encadrer quelques plongeurs. En réalité, il m'offrait un séjour agréable en Mer Rouge et en compensation je devais veiller à la sécurité des plongées des participants d'un stage photo organisé par sa fille  et animatrice Joëlle avec la promesse de pouvoir rencontrer ces labridés imposants que sont les napoléons.
      À ce sujet, il est étonnant de constater que Napo, grand ami des photographes, si l’on en juge par les innombrables clichés du quidam publiées dans les magazines, livres, films et autres ouvrages spécialisés, pour une raison inconnue, ne se laisse que très rarement tirer le portrait de face.
      À vrai dire : jamais ! Avez-vous en mémoire une seule pose, une seule image, où l'animal vous regarde de face ? Sinon vous... du moins l’objectif d’un “Nikonos” ou autre “Sea and Sea”.
       Eh bien ?... Non !
       C’est tout de même curieux, quand on y pense ! Le célèbre gaillard serait-il d’une réelle modestie ? Ou, à l’instar de certaines vedettes de l’écran, recherche-t-il tout simplement une forme d’anonymat ? Parce que, vous serez d’accord avec moi, il s’affiche vraiment partout. Oui, d’accord, mais seulement de profil... le coquin ! Et... quand ce n’est pas de trois-quarts arrière !
       Mais, à vrai dire, ne souffrerait-t-il pas d’une certaine timidité ?
       C’est pour le moins curieux et ,vous l’avez certainement remarqué comme moi si vous fréquentez un peu la Mer Rouge, de quelle étrange inquiétude ce monarque est paré dès lors qu’il affronte les Chevaliers de la Pellicule? Vous le voyez s’avancer face à vous, majestueux, sûr de lui, puis à l’instant même où vous faites le geste de porter l’appareil à hauteur de votre œil afin de le cadrer, il exécute un virage étudié et se positionne parallèlement à votre personne. Sans laisser échapper un mot bien sûr, mais avec une prestance satisfaite dont l’allure innocente et la plus détachée du monde symbolise magistralement son flegme redseanien.  Bizarre…  non ? 
       Dès lors, tout à loisir et sans aucune difficulté, vous pouvez, avec sa bénédiction, immortaliser son  admirable profil:  il reste dans le proche voisinage et vous observe… du coin de son œil malicieux. Cette curieuse façon de se comporter est bien connue mais admise à regrets par tous les plongeurs de la “Red Sea” :
        Sa Célébrité ne perd pas la face, ne se voile pas la face mais se contente tout simplement de ne pas être de face!
        Notre groupe n’ignorait rien de cette singularité.
        La semaine d’initiation à la prise de vue diapositive et subaquatique, sous la houlette du renommé Maître Orléanais, Jean-Yves Duchaillut, enthousiasmait tous les stagiaires. La beauté de cette mer tropicale, sa vitalité, sa richesse, transparaissaient en des images éclatantes de couleurs.
       Cependant il fallait se rendre à l’évidence: Napoléon, bien que présent chaque jour à l’écran, fidèle à sa légendaire pudeur, n’avait pratiquement accordé aucun portrait facial, sinon de très loin, sans doute par inadvertance, cela va de soi. De ce fait, afin de s'octroyer une satisfaction que nous pourrions qualifier de visuelle, l’agrandissement du sujet aurait subi une telle perte de qualité, que ce n’était pas envisageable.
       Tout le monde souriait de ce refus incompréhensible. Je pense bien que l’individu lui-même se prenait au jeu: n’avait-il pas déjoué les mille astuces imaginées pour le surprendre.
       Ainsi, le dernier jour du stage, nous avions imaginé parvenir à nos fins grâce à une  ingénieuse stratégie d’encerclement du héros. Partis d’un petit fond, tous les plongeurs participèrent à cette vaste manœuvre montante. Favorablement menée, cette opération était l’assurance de la réussite... Aussi, lorsque la fermeture parfaite de l’anneau fut réalisée, que notre proie, si habilement piégée était à même de se retrouver face à un certain nombre d’objectifs, les doigts habiles de nos paparazzi déclenchèrent la mitraille des flashes. Et ils photographièrent... leur vis à vis...!  Avec le sang-froid propre à la grande famille des labridés notre Napo facétieux s’échappa prestement par la seule sortie à laquelle personne n’avait songé: la surface. Au-dessus de nos regards stupéfaits et admiratifs, le gredin s’envola dans les airs avec une grande aisance... en un superbe saut carpé.
            Bien joué, Monsieur la Bête(1) !!!
            Cette histoire me turlupinait.
            Étant disponible, après la fin du stage je pris la décision de voir ça de plus près. Consacrer quelques journées supplémentaires à ce problème et plonger pour en résoudre l’énigme était, pour sûr, un bon programme.
            Libre d’embarquer chaque matin sur l’une des six unités rapides du Club, je n’avais que l’embarras du choix quant aux différents sites où je savais pouvoir croiser mon “client”.
            Et des sites, j’en ai fait... ! Deux ou trois chaque jour, les plongées étant peu profondes. Napo était à chaque rendez-vous, toujours aussi charmeur. Tant que l’appareil photo restait suspendu à mon cou, nous vivions un accord parfait. Mais le malin se détournait de moi dès l’instant où j’esquissais le geste d’une prise de face...
           J’ai tout essayé... J’ai même utilisé ma jackette pour dissimuler contre ma poitrine l’ensemble “Photo-Marine” dont seuls l’objectif et le flash étaient dévoilés. J’espérais avec cette  version de la "caméra invisible"  avoir trouvé manière à tromper sa vigilance et  réussir enfin à prendre un cliché surprise de la créature en me tenant bien vertical et immobile devant lui.
         Opération inefficace ! De loin, le rusé me regardait venir d’un air soupçonneux. Il conservait ses distances faisant preuve d'une incompréhensible suspicion à mon égard... Contrairement à l’habitude de ses congénères dont la curiosité proverbiale est de notoriété publique, celui-ci ne m’approchait pas ainsi que je l’avais escompté. De plus, subodorant qu’un grand angle le braquait, il se mettait immédiatement à battre des nageoires en rétro afin de conserver la limite  de sécurité que je semblais vouloir franchir. Désespérant !
            Plusieurs fois j’ai tenté de le “bouder”, lui tournant délibérément le dos... ou faisant mine de m’éloigner. Il se contentait de me suivre au plus près mais à l’instant où un coup de palme surprise trahissait mon intention de lui faire face, sans aucune hâte, il s’esquivait.
           Ô rage !...
          Alors j’ai pensé à une autre méthode. Je me devais d’être Le Grand Ami : ne pas rester le plongeur anonyme aux yeux de ces surprenants individus. Cela me paraissait être assez simple.
         J’avais d’ailleurs un exemple probant : L’année précédente, lors d’une plongée matinale sur le platier d’Oum Gamar, j’ai vu notre commandant parachutiste Orléanais, Raymond Dionnet, à son corps défendant, conquérir de haute lutte la reconnaissance affectueuse et indéfectible d’un colossal spécimen. de ce poisson incroyable. Ce dernier, avait un hameçon d'acier et de grande taille fiché dans la joue. Il nageait bonnassement au ras du fond sableux trois mètre environ juste au-dessous de son futur bienfaiteur. Suite à une habile manœuvre de chute libre, notre plongeur, saisissant le blessé à bras le corps avec une promptitude et une dextérité toute militaire, extirpa la tige de métal si vite que Napo n’eut pas le temps de réagir.
          Hé bien, tout au long de la journée, soit près de trois heures de plongée, ce fut un binôme parfait d’inséparables, sauf toutefois, à l’heure du repas de midi que nous prenions sur le site, le bateau étant amarré à une bouée. Bien que Raymond ait fait don d'une partie de sa pitance à son protégé, ce dernier, timide à l’extrême ainsi que je vous l’ai déjà dit, n’a pas tenu à s’imposer à notre table. Mais avouez que si sa langue maternelle eut été le français, peut-être se serait-il senti plus à l’aise parmi nous et aurait-il volontiers demandé la permission de monter à bord. Nous l’aurions alors installé avec plaisir dans l’ombre humide de nos combinaisons...
          En outre, Oum Gamar convenait parfaitement à l'exercice de style auquel j'avais l'intention de me livrer. Le site, assez éloigné de la côte, était à l'époque très peu visité, donc paisible, l’eau calme et limpide, le fond proche et de sable blanc. Sans aucun doute, mon adversaire, intelligent, docile et surtout éclairé par sa précédente aventure, s’adapterait sans nul doute à mon projet. Décision prise, toutes mes plongées y furent dès lors consacrées.
      Le maître de céans,  un individu de taille exceptionnelle, en vertu de son poids avait été baptisé à juste titre "Napoléon Cent " par les moniteurs et il adorait les visites. Mes premières avances furent singulièrement faciles et de bon augure. Dès mon premier saut, prévenu par l’onde de choc, il était là, joyeux et démonstratif. Il m’a salué de façon fort civile, à la sous-marine, en décrivant des cercles de plus en plus restreints autour de ma personne. A la faveur d’une passe rapprochée il est même venu me faire connaître son affectueuse satisfaction en caressant son ventre rebondi à l’une de mes palmes.
Bon présage !
           Ensuite, innocemment, nous avons nagé de conserve. Soit à mes cotés, soit me précédant d’une petite longueur, en guide parfait, il m’a fait découvrir les eaux turquoises d’un véritable et merveilleux paradis marin. Les gorgones arborescentes, géantes roses, rouges, jaunes ou violettes selon la  profondeur, lui étaient particulièrement agréables. Visiblement il recherchait  les plus monumentales d’entr’elles. Lorsqu’il les jugeaient à portée de ma vue, il me devançait prestement et allait m’attendre sur place, se dissimulant parmi les branches. Me regardant palmer vers lui, il prenait un plaisir ineffable, cela se voyait à son regard enjoué. J’ai apprécié sa mimique, mais la question reste posée : Est-ce la satisfaction d’avoir trouvé un compagnon de jeux, ou, plus simplement le chatouillis de la gorgone sur sa  bedaine qui lui communiquait cet air de satisfaction béate ?
          Bien entendu, ma toute bonne foi était en évidence :  ne portant sur moi qu’un slip de bain et mon bloc d’air comprimé, j’étais dans l’impossibilité de cacher quoi que ce soit, ne serait-ce qu’un quelconque appareil jetable. J'étais l'innocence personnifiée.
        Les jours suivants un véritable enthousiasme réciproque fit de nous d'authentiques compères. Sans conteste pour notre amitié, les menues friandises dont je le régalais à profusion firent davantage par leurs simples mais fréquentes distributions que les longues et captivantes heures de plongée passées ensemble.
         Je le sentais… J’évoluais dans une ambiance favorable et ne doutais absolument plus de ma complète réussite. J’en étais arrivé d’ailleurs à pouvoir le cadrer à tous moments, d’un geste de mes deux mains (vides) dont les doigts se rejoignaient en rectangle à la hauteur de mes yeux… vous voyez... “pour faire comme si”.
          Et puis, je me suis mis en tête... allez donc savoir pourquoi... de tester son sens du jeu, mieux, de déceler son humour :  Après lui avoir présenté à main tendue maintes boulettes de mie de pain, menus fragments de merguez, petits morceaux de fromage et autres petites gâteries raffinées, j’ai décidé de les dissimuler aux alentours. Il a très vite compris. Avec une vista troublante il déjouait à tous coups mes ruses grossières. Si parfois mon geste de cacher son cadeau en quelqu’endroit n’était que feinte,il s’immobilisait aussitôt. Inintéressé, il tournait le dos, ou alors il m’abordait gentiment et me bousculait de son front immense en de petites poussées amicales … Au contraire, si à l’ombre d’un acropora, l’objet de sa convoitise attendait sa recherche, il me lançait un regard complice “bien articulé”:
           - O.k. j’ai vu... regardes ... je vais trouver ! Et de s’y rendre benoîtement.
       Au travers de toutes ces familiarités devenues coutumières, une confiance réciproque s’installait  tranquillement entre nous. Pour le succès de mon entreprise, encore quelques séances d’entraînement, et... il serait  à point.
Du moins le croyais-je avec certitude !
        - Vas z’y Nicéphore (2) ! m’a même déclaré Wanda, mon épouse unique et préférée, avec  l'enthousiasme indéfectible qu'elle me communiquait depuis le jour où elle m’avait rejoint. Vas z'y... il est t'à toi ! Je te suis !
        Nous venions de sauter à l’eau lorsque je l’aperçus sous moi. Royal, il nous attendait par quinze mètres de fond, auprès d’une patate de corail. Son Éminence se prélassait sur un trône de sable clair. Curieusement immobile, il nous regardait avec une certaine tristesse dans ses bons gros yeux candides. Je restais en sustentation à deux ou trois mètres de la surface. Ce jour là, en guise de bienvenue matinale, je tenais délicatement entre le pouce et l’index un œuf mollet dépouillé de sa coquille. Je le faisais miroiter superbement au soleil.
       Après une légère hésitation, comme à regret, mais néanmoins avec une indéniable bonhomie, Napo se hissa jusqu’à moi dans l’espoir de gober son petit déjeuner favori. 
        Au moment précis où il se risquait à engloutir mon présent... Hop ! Disparu l’œuf ! La main plus rapide que l’œil !… comme dit le magicien.
      Indécis l'espace d'une seconde, il me regarda droit dans les yeux, d’un air inquisiteur. Non ! impossible... je ne pouvais pas l’avoir abusé !...  Il  regagna le fond sans chercher à jouer.
         A peine avait-il repris sa position stratégique, que, prestement réapparue, mon offrande étincelait au bout de mes doigts.
        Irisée par les reflets soyeux de l’onde cristalline, drapée d’ombres et de luminosités inconsistantes issues de la surface ondoyante, la tentation ovoïde s’avérait intolérable pour mon camarade exacerbé. Mû par un effort analogue à celui du requin dormeur agacé par une langouste, il arriva vers moi, se laissant glisser entre deux eaux. Mine de rien, le regard étrange, perdu dans le vague, il espérait, agissant avec circonspection, se saisir du butin que je lui refusais si adroitement.
          Mais à moi, vieux singe, pas question de me faire le coup de l’innocence chapardeuse !  Une nouvelle fois l’œuf était escamoté à sa barbe.
       Mon souffre-douleur est resté planté là, interdit, et j’ai vu à sa tronche qu’il n’appréciait pas la situation. Ses gros yeux en accents circonflexes, oscillants de manière autonome tel un caméléon outragé, traduisaient le courroux qui l’envahissait.
          Je flairais bien qu’il n’était pas content, Napoléon, vraiment pas content du tout ! Solennel et dédaigneux à mon égard, il éructa. De sa gueule lippue une fine série de bulles d’air s'exhala et s'étira vers la surface en forme de point d'interjection. Puis, majestueux (ou dédaigneux, allez savoir) il regagna son territoire avec langueur.
      Stupéfait en mon for intérieur de ressentir son propre malaise, j’allais abdiquer. Puis  je  me  suis  dit  que je ne pouvais pas en rester là, que j’étais un parfait idiot de me jouer ainsi de lui.
         “Pardonnes-moi. Tu m’as accordé ta confiance, je t’ai abusé… accepte mes excuses, je te dois réparation… enfin… si je désire toujours obtenir ton portrait sous ton meilleur angle”.
         Salaud !... Pas très fier de moi, me ressaisissant, je me laisse descendre doucement vers le fond pour le rejoindre, ma main tendant l'œuf.
         Offert semblait-il de bon cœur, mon cadeau, brillant objectif de sa convoitise, était  encore plus désirable sous les éclats d’une lumière bleutée par la profondeur. J’étais à genoux sur le sable,  suppliant, à quelques pas devant lui.
            Et il m’ignorait totalement. Pas un regard, pas un mouvement ne trahissait sa pensée, exactement comme si je n’existais plus.
           J’avançais vers lui avec lenteur ... sur les rotules...
          Tout au long de cette procédure d’approche, je l’incitais à profiter de mon cadeau en faisant frémir légèrement celui-ci au creux de ma main tendue vers lui.
          Rien !… Un marbre !
         Parvenu à quasiment le toucher, que pouvais-je bien faire d’autre pour le stimuler ?
         Eurêka ! Sous une lente pression de la paume de ma main,  l’œuf se déforma mollement puis se fissura. De la lézarde s’exhala instantanément une giclée d’effluves aussi colorées qu’appétissantes.
          Et c’est à l’instant précis où ma main effleurait ses grosses lèvres, que  goulûment, dans sa voracité, le goinfre m’avala.
          Non, pas moi en totalité... mon bras seulement, mais tout entier, oui... jusqu’à l’épaule.
           Oh là là ! Quelle impression !
          J’étais paralysé… La proie d’un cauchemar… Je sentais son étreinte cannibale se raffermir sur ma chair nue… Mon biceps s’écrasait entre ses lèvres lippues et ses gencives meurtrières.
            Impossible de lutter, j’étais vaincu d’avance.
           Que pouvais-je faire contre cent kilos de muscles. Saint Michel contre le dragon... de la rigolade…!
            Croyez-moi, il faut y être passé pour comprendre.
       Et de plus, comprendre vite, car il faut impérativement s’en sortir, le mot est exact. Et en douceur, s’il vous plaît! Pas question de tirer chacun de son côté.
            Pour quelle raison la fable du singe dont la main prisonnière dans un bocal au goulot trop étroit pour laisser passer son poing fermé, m’a-t-elle traversée l’esprit ? Mystère ! ... des profondeurs ! Toujours est-il que résigné, au tréfonds de sa gueule, j’ai fini par écraser totalement l’œuf maudit objet de son ressentiment. Puis j’ai grand ouvert la main, en évitant de lui racler la gorge.
           Alors, soit pour dégager ses arrières, soit en démonstration d’un rapport de force, Napoléon, nous fit très lentement effectuer un quart de tour sur place, lui, pivot pratiquement immobile, usant de ses nageoires pectorales frémissantes, pour tourner sur lui-même et moi, lamentable, me traînant sur les genoux à sa suite. 
         Entrouvrant les lèvres, il relâcha petit à petit sa contrainte. Avec une infinie douceur et une sainte obstination à se faire bien comprendre, il commença de reculer par petites saccades, me libérant d’abord le bras jusqu’au poignet. Puis après l’avoir quelque peu mâchouillée, afin sans doute d’en laver les coupables traces jaunes et baveuses, il me lâcha la main.
        Je restais là, abasourdi et penaud.
        La dure leçon bien méritée, ne faisait que commencer !
       Me croyant débarrassé du monstre, j’ai amorcé une lente remontée vers la surface. Mais Napo revint vers moi. S’installant fermement à ma hauteur, tout au plus à un mètre de mon visage, il m’accompagna, menaçant. Me faisant face, ne me quittant plus des yeux, il remontait avec moi. A le voir m’observer ainsi, bizarrement, je me sentais devenir sa chose.
         Légitime inquiétude! …
        J’avais du mal à m’expliquer la signification du balancement de droite à gauche qui agitait son corps massif. On eut dit un redoutable guerrier se préparant à une attaque décisive sous la contrainte néfaste d’une pression vengeresse.
         Soudain, alors que nous arrivions près de la surface, il se rapprocha de moi et, à ma grande stupéfaction, il me vaporisa la trogne d’un flux jaunâtre et visqueux, me rendant pour le moins, la totalité gluante et colorée de mon œuf.
         Ensuite il se recula légèrement pour juger de l’effet produit. Ensuite, dodelinant du chef, soulagé, vengé, railleur, il effectua autour de ma personne une balade espiègle et victorieuse... Une sortie triomphale en fait... et avant de disparaître dans le grand bleu, d’un dernier clin d’œil, me jura formellement... de n’en dire mot à personne!
           Si Wanda, stupéfaite, n’avait été le témoin oculaire de toute cette affaire, jamais je n’aurais pas osé vous en parler. Vous ne m’auriez pas cru !
           Maintenant, vous voilà au parfum !
          Et surtout, croyez moi sur parole, vous pouvez sans crainte et en toute quiétude rendre visite à  Napoléon Cent, je suis certain qu’il vous fera bonne figure. Je vous le certifie, les poissons n’ont pas de rancune. Peut-être même qu’avec un minimum de chance et d’adresse vous pourrez tirer un magnifique portrait-souvenir de mon Copain ?
            Mais, de grâce, je vous en supplie, ne lui donnez rien à manger, Sa Majesté au foie sensible... ne supporte pas les gâteries !
           “Napoléon Sans…dent”(3), heureusement pour moi, n’était  pas un prédateur… Tout juste un incroyable petit farceur !

                               
(1) Napoléon (Cheilinus Undulatus) Poisson de récifs coralliens, famille des Labridés, à bouche protractile et lèvres épaisses, pouvant atteindre 2 mètres de long et peser plus de 100 kilos.


(2)  Nicéphore Niepce (1765-1833) Inventeur de la photographie entre 1816 et 1823.

(3) Le napoléon se nourrit surtout de mollusques qu'il écrase avec ses dents molariformes.

 

 

Le Roi de la Mer Rouge dans toute sa splendeur :
Sa Majesté Napoléon.
0065-NAPOLEON.jpg
 
 
 
 

Son allure débonnaire et ses gros yeux expressifs
en font un poisson à nul autre pareil.
0066 NAPOLEON

 
 
 
 

J't'ai eu Napo, j't'ai eu !!!
0067-NAPOLEON.jpg

 
Le poisson dit " Napoléon "
est le plus grand et le plus lourd de tous les labres.
Son poids peut atteindre 200 kgs
et il a alors une taille d'environ 2m30 de long.
Seuls les gros individus deviennent familiers
et se complaisent parfois à suivre certains plongeurs.
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