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  • : Le blog de PAPYCOUSTEAU
  • : Photos, Voyages, Plongée-sous-marine, récits, histoires, citations, pensées, maximes, proverbes du monde entier. Le tout illustré par des photos de France et d'ailleurs...
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22 décembre 2009 2 22 /12 /décembre /2009 00:12
UNE  INCROYABLE  PLONGÉE



 

Il ne faut jamais avertir les gens
de leur danger que lorsqu’il est passé.
VOLTAIRE


 

       Ainsi que je vous l’ai déjà raconté, il y a de cela plusieurs années, le célèbre pilote automobile, Michel Vaillant, lors de son retour d’un Grand Prix d’Adélaïde, était venu me rejoindre en Mer Rouge, via Dubaï et Le Caire.
       A l’époque, plongeur débutant et ne disposant que de trois jours à Scharm El Scheik, son rêve d’évoluer parmi les raies-manta géantes dont je lui avais tant parlé, lui semblait impossible.
       Et pourtant, souvenez-vous, quelle chance nous avions eue, de plonger durant près d’une heure, accompagnés de seize colossales raies-manta. Plus extraordinaire encore, de nous faire tracter avec complaisance pendant de longues minutes, l’un et l’autre chevauchant chacun son gigantesque Diable -des-Mers dont le poids estimé pouvait être de huit cents kilos à une tonne. Nous nous étions agrippés à l’épaulement de la lèvre supérieure, entre les deux cornes céphaliques de ces monstres et nous avions évolué sur quelques centaines de mètres sous le regard ébahi des plongeurs Orléanais de Jean-Pierre Rameau, auxquels nous nous étions joints ce matin là.

       Quel souvenir…!

       Au fil des ans et au hasard des océans, notre héros national a effectué nombre de plongées, sa semi-retraite et son rôle de “conseiller spécial” lui assurant l’accès aux Sept Mers.  Ce faisant, la veille d’une série d’essais sur le circuit “Gilles Villeneuve” à Montréal, il me tombe dessus “chez Schwartz,” le curieux restaurant du boulevard Saint Lawrence où il est bon d’être vu et dont j’avais fait ma cantine du soir.
       Je lui expose que j’étais sur le point de me rendre à Tadoussac, car j’avais rendez-vous le surlendemain avec “Sonia-La-Québecquoise”. J’avais fait la connaissance de cette jolie fille en Guadeloupe, le printemps dernier lors de son séjour à Malendure. Monitrice de plongée au Club des Escoumins, elle m’avait, à l’époque, formellement promis que nous plongerions ensemble lorsque je serai de passage chez elle. Une occasion à ne pas manquer... car elle affirmait qu’elle me ferait évoluer, sans danger, parmi les compagnies de baleines bleues, bélougas et autres rorquals qui sont la curiosité du site. Par troupes nombreuses, à cette époque de l’année, ces géants des mers remontent le fleuve Saint Laurent jusqu’à la confluence du Saguenay(1), la magnifique rivière dont la source est située au plus profond du majestueux Lac Saint Jean.

       Notre célèbre pilote, toujours en quête d’émotions fortes, enthousiasmé par mon programme automnal et se souvenant de nos rencontres égyptiennes,émet le désir de m’accompagner.

       Immédiatement j’y souscris et c’est là que tout va se jouer : Afin de satisfaire à ses obligations sportives, Michel n’est disponible que dans une quinzaine de jours. Qu’à cela ne tienne, je change mon emploi du temps, passe un fax à Sonia pour la prévenir de cette modification de date, et pars tranquille visiter la province “Cœur du Canada”, la région des Grands Lacs.
        Quittant le district de Gananoque et ses plongeurs, après avoir vu, observé, filmé tout à loisir le Grand Brochet du Nord et vécu la splendeur de l’été indien sur la rivière des Mille Iles, je suis remonté sur Kingston. Longeant le Lac Ontario j’ai gagné Toronto(2), puis Niagara Falls et ses chutes spectaculaires, avant d’atteindre, via la Piste Talbot, le Fort Erié sur le lac du même nom. 

         Beau périple!

         Rebroussant chemin quelques jours plus tard, je m'empresse de traverser Ottawa afin de revenir sur Montréal et retrouver mon ami le 21 septembre dans la soirée. Le lendemain matin nous empruntons la 4.40, direction Québec et Tadoussac. Brûlants d’impatience, nous nous hâtons vers notre destin : Lorsque l’on est amateur d’Aventures, on la rencontre toujours au bout de la rue !
         Une journée de char à travers le Québec, “La Belle Province” et nous nous installons à la pension dite “La Maison Clauphi” rue des Pionniers , à deux pas du bac franchissant le Saguenay et de la plus vieille église en bois(3) d’Amérique du Nord.
          Dix-huit heures tapantes, repas du soir: tourte au saumon, poutine et pour finir, tarte aux bleuets. Il n’en fallait pas moins pour que nous prenions largement le temps de déguster ensuite une rafraîchissante et légère Labatt(4) au coin de la cheminée.
          J’explique alors à mon compagnon que les eaux froides du Saint Laurent recèlent, de juillet à novembre, une quantité considérable et inhabituelle de plancton d’eau douce.                   
          Depuis l’Atlantique, arrivant en grand nombre de la Mer de Baffin par les côtes du Labrador, les baleines hantent le fleuve paisible afin de profiter de cette manne nourricière.
          C’est l’attraction number one. Il faut dire qu’en cette partie sauvage du Canada (ce mot signifiant “ici il n’y à rien”, indication donnée par les Hurons à Jacques Cartier en 1534) un tel   spectacle est grandiose et de forte renommée. Les grands cétacés se trouvent parfaitement à l’aise dans ces lieux situés à plus de 500 kms de l’Océan : le lit du fleuve,  creusé par les glaciers il y a quelques millénaires, leur permet d’évoluer dans l’immense plan d’eau de cet estuaire large de 30 kms environ et dont la profondeur, surprenante, atteint les 600 à 800 mètres.

          Pour un plongeur, de quoi  rêver. Bonne nuit !

          Le lendemain matin, dès l’immanquable sirop d’érable dégusté avec les incontournables pancakes du petit déjeuner, nous prenons la route surplombant les rives du Saint-Laurent.
          De loin en loin, nous apercevons quelques “souffles”: elles sont là ! Sonia doit nous attendre, sinon avec impatience, du moins avec le chef de base responsable de la flotte des Zodiacs.
          Nous repérons la voie qui descend au renommé “Coin du Plongeur”. Nous bifurquons sur notre droite et enfin, nous voici arrivés devant l’Établissement du Club sans aucun doute le plus fameux du Québec. C’est un vaste local en rondins aménagé sur le terre-plein de la berge avec resserre à bateaux s’ouvrant directement sur le tarmac de mise à l’eau. Nous quittons la voiture et pour nous dégourdir les jambes; en quelques pas nous faisons le tour du propriétaire.
        - Tiens, curieux ! Personne... c’est le désert !... Que ce passe-t-il ?... Pas un seul Zod n’est à flots ? Ils sont tous encore enchaînés... A cette heure de la matinée, bizarre !

        Patience. Nous restons sur place, contemplant le fleuve immense animé de vastes tourbillons de fort mauvaise augure. Un quart d’heure passe. Ah ! Tiens, voici une "Jeep" débâchée qui dévale impétueusement le chemin et fonce droit sur nous. Au volant, un hercule en chemise de bûcheron à carreaux rouges et noirs croit nous éblouir par un dérapage contrôlé qui vient stopper brutalement l’engin à nos côtés, en position de retour vers la sortie. Avant même avoir mis pied à terre l’individu nous apostrophe avec véhémence:

        - Salut à vous, maudits Français! Faudrait p’têt pas vous figurer qu’on va vous faire plonger aujourd’hui ! Vu qu’présent’ment, y’a rien à voir !!!

        Imaginez la réception... et notre surprise.

        Vous le comprenez, ça va de soi aisément, cet accueil commence à nous faire monter la moutarde au nez. Cependant, c’est avec bienveillance que je biaise (pour apaiser les esprits) et demande avec toute l’innocence dont je suis capable:

         - Mais, mon amie Sonia n’est donc pas avec vous?

        Avec un sourire large comme ça, Grand Jack - ainsi se prénomme le costaud - nous informe que sa monitrice profite des grandes marées d’équinoxe pour porter le bonjour à ses parents, au village de Lac à la Croix... “par là ... au loin... du côté de Chicoutimi.”
        Mon froncement de sourcil semble lui indiquer que je ne parais pas saisir clairement le rapport congé/marées car devant mon air stupéfait, il me fournit un complément d’informations : 
        - Ben voyons, les gars, tout le monde sait qu’à c’t’époque de la syzygie, le flot et le jusant perturbent très vigoureusement les baleines. Y’a qu’a voir... on n'en voit plus, ou alors une deci-delà... pas en harpailles....Y’a trop de remous... Mais ne vous en faites pas, elles vont revenir... Votre copine aussi d’ailleurs, dans quatre ou cinq jours... quand tout sera calmé et que nos bestioles ne seront plus dérangées. Pour sûr qu’elle vous attend toujours, la Sonia, vu vot’fax qu’elle m’a raconté.                                                              
        - Heuuuu...! C’est à dire que... pour faire plaisir à Michel... j’ai modifié le trajet de mon séjour au Québec... je suis allé plonger à Gananoque et j’ai tout mon temps, mais lui, il est dans l’obligation de repartir en Europe sous deux jours... vous comprenez ?
       Il nous comprend si bien qu’il finit par nous faire admettre qu’effectivement, le niveau des eaux variant de cinq bons mètres à chaque marée... perturbés, ils se font assez rares nos... cétacés.

       - Ça suffit !... En voiture... et... à  la revoyure les frenchies !

     - Stooooop…! Attends au moins que je te présente mon ami... c’est Vaillant. Tu connais bien, voyons ?... La Formule 1... C’est Michel Vaillant ...!

        -  Ah! Pardon... Maaaiiis ouiiii! Bien sûr ! J'mé disais ben aussi...

       Et la porte de la base s’entr’ouvre, les canettes de bière aussi... Ouf, ça va mieux.
       Chaleureusement les minutes s’égrènent et... ça va de mieux en mieux...
Une heure passe, de joyeuse humeur. Un bref regard à l’extérieur, me renseigne sur les eaux tumultueuses du fleuve: elles s’écoulent maintenant avec une certaine lenteur. J’en fais aussitôt la remarque.
       - Ma foi c’est vrai, j'lé'connais. Bon, si  vous  y  t'nez vraiment les gars, on peut toujours essayer une petite sortie à l’occasion de l’étale, mais alors... du rapido. C’est le moment ou jamais,  "allons-y" déclare notre compère en quittant la table.

       Oui mon Capitaine ! Branle-bas de combat !
       En avant toute... et vogue la galère... Pardon, le Zodiac !

      Sur l’étendue liquide nous tournons en rond depuis une vingtaine de minutes pour ne pas dire en bourrique. Les quelques bestioles isolées qui font surface n’y restent que peu de temps. De ce fait nous n’avons pas le loisir de nous en approcher suffisamment pour plonger à leur côté.
      Capelés, assis sur les rebords du boudin, prêts à faire “bascule arrière”, Michel et moi attendons. Soudain une masse énorme surgit à l’avant du bateau. C’est la baleine.
      - Elle souffle! Elle souffle! hurle Grand Jack le bras tendu vers nous et agitant sa main au pouce tourné vers le bas, suivant le signe conventionnel, il lance l’opération. “Allez, allez ! Go !!”

      Il nous exhorte à nous mettre à l’eau. Plouf... C’est parti en douceur.

      Nous refaisons surface et, longeant l’animal, nous ajustons notre masque.

      Il est gigantesque, peut-être plus de vingt-cinq mètres de long.

      Impressionnant! Il respire calmement. Son souffle, bruyant, retombe sur nous en une fine pluie dont l’odeur marine est spécialement désagréable. Notre détendeur bien en bouche, nous nous immergeons totalement et descendons lentement le long de son flanc, précaution élémentaire afin d’éviter tout heurt malencontreux. Une certaine angoisse nous étreint à l’idée de l’effrayer. A dire vrai, ne serait-ce pas plutôt dans la crainte de sa réaction?
       Monumental, grandiose, le géant des mers nous suit du regard, il nous observe. Vu de près, son œil de cyclope, singulièrement positionné à la commissure des fanons, nous paraît diablement espiègle. Relativement minuscule, il semble exprimer le désir de charmer les faibles petits êtres que nous sommes. En fait, il nous inspire confiance...  nous reprenons quelque peu nos aises.
       Massive et indolente, jusqu’alors restée immobile, la baleine se met imperceptiblement à glisser devant nous en pente douce. Elle s’enfonce très lentement, sans sonder. Audacieux, nous la suivons vers les profondeurs. Elle nous laisse évoluer autour de son corps immense. Nous l’encadrons, la survolons, caracolons dessus, passons dessous... Splendide, majestueux, magnifique, monumental, démesuré, fantastique... sensationnel... Incroyable.!!!
        Dix minutes de plaisir... Non !... Une seconde d’éternité !
        L’eau, qui est déjà assez trouble à proximité de la surface s’assombrit peu à peu. Je consulte mon Aladin(5) : il affiche moins vingt mètres. D’un geste, j’interroge mon compagnon.  Ok, tout va bien !
       Soudain, troublant notre sérénité, une sorte de long cri déchirant se propage autour de nous. Semblable à un sifflement sa résonance métallique et stridente nous étreint. Surpris, nous restons immobiles... L’étrange appel se répète, plusieurs fois. Signal sonore d’une lugubre et triste insistance, son exhortation nous accable d’angoisse. Je me rapproche de Michel. Soyons calmes! 
        Le rêve passe: sans l’apparence d’un mouvement, le grand corps marin défile devant nous. Il prend de la vitesse et tel un animal crépusculaire il se coule et disparaît silencieusement dans les ténèbres glauques de l’abysse.
        Les cris ont cessé. L’eau est grise et morne. Imperceptible il y a un instant, le courant commence à se faire sentir. L’un près de l’autre, nous dérivons passivement.

        Maintenant le reflux s’accélère et nous emporte avec vivacité.

       Nous sommes seuls. L’ombre nous submerge, nous n’avons plus aucun repère.

        Il faut remonter d’urgence... ensemble.

        Tout à coup, à l’instant même où je saisis le bras de mon compagnon pour le guider vers la surface, c’est l’apocalypse. Un vacarme effroyable nous saisit et nous aspire. Nous tombons en chute libre dans une atmosphère épaisse, tiède et nauséabonde.
        J’ai lâché mon détendeur. Ma tête vient de heurter lourdement quelque chose avec une molle violence. J’ai le réflexe chanceux de récupérer mon appareil respiratoire, je le remets en bouche avec dextérité.
        Que ce passe-t-il ? Je présume qu’il s’agit certainement d’une autre baleine qui croise à proximité. A l’appel de ses congénères, elle a sondé brutalement et nous a entraînés dans le formidable remous de son sillage caudal.       
        Un choc brutal... je ressens l’eau froide à nouveau ... Sursaut de lucidité... Aïe...!  Profondeur, moins trente et un mètres, ça peut aller, Michel est là. Bien ! Pas de panique.
        Tout est paisible, mais notre dérive sous-marine est devenue très rapide. Un coup de palme nous réunit. Main dans la main pour ne pas nous perdre dans l’eau noire, lentement, nous remontons vers  le jour...

         Ouf !... Ça y est, voici enfin la surface...!

        Je jette un coup d’œil circulaire. Rien d’autre en vue que la mousse blanche des vagues tourbillonnantes. Nous sommes abandonnés sur l’immensité liquide.

        - Mais, où est donc passé le Zod ?

        Ah ! Le voici, là-bas, minuscule. Il tourne en rond sur place. Il nous recherche. Étrange, que fait-il si loin de nous, à près de quatre cents mètres en amont ? Enfin attendons !
        Ballotés au gré des turbulences du fleuve, nous continuons à dériver. Bien supportés par nos gilets stabilisateurs, nous flottons allègrement sans trop nous poser de questions.
        Afin d’attirer l’attention de Grand Jack nous utilisons le sifflet de sécurité.

Ça y est, notre navigateur nous a vus. Il met plein gaz et parfaitement déjaugé, le Zodiac fonce en notre direction à vive allure.
        Virage, décélération...
        Furieux ! Il est furieux Grand Jack. Vraiment furieux.

       A peine nous a-t-il rejoint dans une gerbe d’écume, qu’il nous abreuve copieusement avec le répertoire complet du Capitaine Haddock avant même que nous puissions nous hisser à bord... Qu’est-ce qui lui prend ? Tout va bien ! 
        - “Tabarnacle” j’voulais pas qu’y plongent. Eh ben ! On peut dire qu’y reviennent de loin ces deusse-là. C’est bien ma faute aussi... Y m’ont eu à coups de Molson(6). Maudits Français ! Quelle frousse j’on eu, mes aïeux !
        Tout en raffûtant, il est actif et nous sommes vite embarqués. En deux mots nous le renseignons sur notre plongée, son début tranquille, la chute un peu raide, la remontée... en pères peinards.

         Il insiste :
         - La trouille de ma vie qué j’vous dis !
         Il en rajoute :

         - C’est pas croyable ! Pour sûr...! Bordés de nouilles, que vous êtes, mes p'tis gars.

         Devant nos airs ahuris, il poursuit, sentencieux :
         - J’l’avais ben dit quelles étaient dérangées...”
         - Attends, Jack, attends ! Qu’est-ce que tu veux nous expliquer là ?

        - Ben, sacré nom de nom! M....’est-avis c’est qu’y z’ont encore rien compris les affreux, rumine-t-il.
        - Attendez les gars, attendez... les bières, cette fois, c’est moi qui les paye... faut que vous soyez bien assis ! Allez, rentrons!
        Croyez-moi : nous étions à cent lieues de réaliser à quel extraordinaire phénomène naturel nous venions de participer.
         Dès notre arrivée dans la cabane, d’un geste, le Québécois nous invite à prendre place face à lui. Avec solennité il dispose sur la table un plein carton de canettes de bière et trois grandes chopes en grès qu’il remplit à ras bord.

         - Santé à chacun ! Trinquons !      

         - Les émotions, ça creuse, explique-t-il en rechargeant sa pinte déjà vide. Yah... !  Écoutez voir... Pour vot’comprenure, j’dois d’abord dire qu’vous rev’nez d’loin. C’est pour ça que, vu le risque, au départ, j’étais pas chaud à vous embarquer.
        Content de ce préambule, il se refait un petit coup de cervoise qu’il déguste alors sans se presser, en faisant claquer sa langue de plaisir.
         Nous, on se demande bien où il veut en venir. En résumé, nous avons plongé avec une baleine et à part notre chute imprévue, un peu surprenante il est vrai, tout s’est parfaitement déroulé. 
         - Voyez-vous,  à Tadoussac, c’est pas comme partout... Comprenez bien, bande de tarés, aux équinoxes, les eaux douces et fraîches du Saint-Laurent qui descendent vers la mer rencontrent l’eau salée et tiède de l’Océan Atlantique qui remonte le fleuve portée par la marée. Ces eaux différentes, elles se mélangent icitte, chez nous, et aussi tout le reste à l’avenant: le plancton et les krills marins avec les ceusses du fleuve. Et ça nous mijote, je vous dis pas... un de ces amalgames... une vraie friandise pour les rorquals.
        - “Gloup ... Gloup...”  Ah ! Elle est parfaitement rafraîchissante !...

        Il parle de la bière qu’il vient d’engloutir et poursuit :

        - Sûrement bien qu’y s’bourrent la face de c’te mayonnaise, à voir comme ça les mène. Suffit pas des courants vn’ant d’la renverse qui nous disperse les troupeaux... Ce qui les bouleverse bien plus davantage, c’est qu’elles sont dérangées par le “flux”, que diable ! Vous en prenez-t-y bien conscience ?
        Il nous regarde...  et devant nos sourcils froncés sur nos yeux ronds, il s’exclame :

        - Vous êtes durs des oripeaux, vous autres. Z’entendez encore moins bien not’parlure québécoise que les “Canadziens”(7). Faut vraiment leur z’y dire tout à ces malheureux. Bon, c’est pas sorcier... J’connais l’tabac !... Écoutez-moi voir !

       Il reprend calmement son récit et nous expose les méfaits du chaud-froid/sucré-salé sur le système du fonctionnement digestif des baleines.
       - T’rends ben compte d’la fermentation intestinale...! Alors, forcément, ces bêtes, elles gonflent, elles ballonnent... et au bout d’un temps, pour mieux s’tenir la bedaine en place, à ton avis, qu’est-ce qu’elles font ? Ben voyons... Elles sondent, elles plongent... un beau “canard” à la verticale, avec la queue ben droite à prendre en photo. Mais ici c’est plutôt creux... Très très creux. Alors c’est plus de la pression qu’elles subissent, à cinq ou six cents mètres de profond... croyez-moi, c’est de la très haute compression, assurément !

        - Vous me suivez bien ? Ok, je poursuis :

        - Plus elles vont au fond, plus ça leur tient le ventre... pour pas dire plus... Je dirais même que ça les contient. Oui mais... arrive un moment où elles z’en peuvent pu ? Alors ? Ben quoi?  Pardi... devinez ! Elles font comme tout le monde, normal, elles se soulagent... pardonnez ... elles lâchent une fiouse !... Un vent !... Heu... Oui... Un pet, un gros gros pet ... quoi !...“Parfaitement les amis !  Imaginez un peu... un pet de baleine! Vous êtes tombés en plein dans un pet de baleine... par Saint Caliboire... Ça, j’voul’dis... faut l’faire !”
        - Quoi ? Tombés dans un... non. Non! Arrête, pousse-pas l'ami, c’est pas possible. Là, tu envoies le bouchon un peu loin, Jack. Comment, tu veux nous faire croire que ... ?
       - Eh si ! Absolument... et c’est bien là qu’y’a l’danger.  Voyez, les gars, z’étions seuls sur l’eau ... pas un touriste, pas un plongeur... d’ailleurs sans votre insistance et vot’ruse à la bière, y’a long feu et belle lurette à l’heure qu’il est que j’couperais mon bois pour l’hiver.
       - Non je rêve ! Tomber dans une bulle ... pour qui tu nous prends? Quand tu expires sous l’eau, les bulles d’air grossissent en remontant, vu que la pression de l’eau diminue. Ensuite, elles se fragmentent à plusieurs reprises et finissent par éclater en bouillonnant lorsqu’elles parviennent à la surface. Non !.. Vraiment, là tu fais trop fort... mon vieux !

       - Tabernacle !!! Y y'y croit pas ! T’as pourtant pas la tête à Papineau... t’as des yeux tout l’tour d’la tête... Non ?...
       D’une vaste lampée il écluse sa chope et reprend :

      - Puisque  j’t’y  dis :  Faut  voir  à l’instant d’où ça sort.  A cinq cents mètres de creux,  le pet, c'est qu’une grosse bulle épaisse et longue... comme qui dirait un placenta de bisons. Dis-moi, t’as t’y déjà vu les gamins faire des bulles de savon ?... en forme de saucisses longues... quand y’a un peu de brise. Ben là, vois-tu, c’est itou... la bulle, elle s’allonge et s’étire... avec le courant qui l’entraîne.

      Nous restons sans voix.
      - Trouvez pas qu’y fait soif aujourd’hui?
      Il en profite pour refaire le plein de carburant.
      Nous trinquons à nouveau.
      - J’vois qu’on commence toud’même à s’accorder.

     Un instant de silence... la claire possibilité qu’il est nécessaire de se comprendre sur toute la ligne.
      - Maintenant suivez-moi bien : La saucisse de gaz, elle remonte, et en application physique de la loi de Mariotte plus elle monte, moins la pression de l’eau qu’a l’est forte. Donc, moins elle subit de contrainte, plus qu’elle s’enfle et qu’elle grandit. Évident non? Elle gonfle et augmente de volume sans éclater... vu que sa texture est tellement épaisse et solide... avec tout ce qu’elle contient et que vous devinez aisément
        Sympathique, il suspend son flot de paroles et nous interroge avec le signe conventionnel de la main : o.k ?

        Voyant que nous le suivons, il continue son exposé.

      - C'te bulle, elle devient vite semblable à une longue et immense baudruche ou plutôt elle ressemble à une sorte ballon-sonde atmosphérique. Plus lourde et plus réduite du bas, forcément... à cause de cette sacrée pression des profondeurs. Y’a aussi la condensation des matières en dérèglement qui ont été vaporisées en épais brouillard à l’éviction et qui pèsent... Ça explique que la remontée s’en trouve freinée et qu’elle n’éclate pas comme un ballon d’hélium trop gonflé.
       Tout devient clair en mon esprit : l’odeur pestilentielle ressentie, lorsque dans ma chute j’ai lâché mon détendeur, c’était bien cette fétidité douceâtre et écœurante dégagée par la fermentation émanant des entrailles du monstre. Dans le chaos, j’ai dû respirer quelque peu par la bouche, heureusement à peine... Vu la qualité des gaz  délétères ambiants... je reviens vraiment de loin !
        - Y’a une chose qui me tracasse..., les gars... vos oreilles, elles ont dû taper un bougre coup de pression ? C’était un vrai trou d’air, comme dans un “Boing” en turbulences!

        Nous nous regardons Michel et moi, perplexes et unanimes.

        - Ben non, pas du tout, c’est passé tout seul, sans douleur. On était descendus certainement vers les vingt cinq au départ de la chute, alors cinq à six mètres de plus, à cette profondeur, l’équilibrage des tympans n’est pas trop sensible.  
         - Ah mes gaillards ! Vous allez devenir célèbres dans le coin, c’est moi qui vous le dis, because que vous êtes de vrais veinards de casse-cou, des comme on en fait plus, des vrais de vrais... En somme c’était presque le saut des chutes du Niagara... comme les acrobates dans un bidon ...! Hahaha ! J’en rigolerai longtemps encore.

         Et il éclate d’un rire communicatif qui le plie en deux.
         Nous rions de bon cœur avec lui.

         Soudain il se lève, frappant du poing sur la table pour imposer le silence et reprenant son sérieux:
         - Sacrés chanceux qu’vous êtes ! Vous avez transpercé le pet alors qu’il filait en longue diagonale, emporté par le courant. Et votre chute faisait quoi ?... pas même dix mètres. Remarquez, c’est déjà pas mal ! Mais quelques minutes plus tôt, à l’étale... une  catastrophe pas croyable que ç'aurait été. Je sais pas si vous vous rendez un peu compte... vous seriez dégringolés à la verticale... oui, sur toute la hauteur de la bulle. Combien ?...  Cent mètres... peut être plus ?... “By Jove” !...  Quand j’y pense ... !
        Il marque un temps de réflexion, puis, donnant à sa voix grave et expressive des intonations tragi-comiques, il conclut, sentencieux :

         - Mais n’avez-vous point jamais vu le “trou de balle” d’une baleine ? Sûrement pas ! Eh bien là... mes garçons, sans me tromper... je peux vous dire qu’il s’en est fallu de peu, pour sûr que vous soyez pratiquement transformés en suppositoires !!!

         Quelle apothéose c’eût été, pour des plongeurs, de terminer ainsi en ...
Quuuuuu...... eue de poisson !

           Mais voyons... restons sérieux !

     
(1)  Saguenay, du mot indien “Sakini” signifiant “d’où l’eau sort”.
(2)  Toronto,“lieu de rendez-vous” en dialecte huron.
(3)  La chapelle de Tadoussac a été construite en 1747.
(4)  “Labatt”, célèbre bière canadienne.
(5)  Profondimêtre et ordinateur de poignet.
(6)  “Molson”, autre excellente bière canadienne produite par la plus ancienne brasserie du Canada (créée en 1786).
(7)  Les autres Canadiens, ceux qui ne sont pas d'origine québequoise.


Une raie manta photographiée à Sharm-el-Scheik

6723-RAIE-MANTA.JPG
 
 
 
Le logo du Club des Escoumins
à Tadoussac
7197-Les-ESCOUMINS-Quebec-.jpg

 
 
 
La "Maison Clauphi" à Tadoussac.
0100-Maison-CLAUPHITadoussac.jpg


 
 
Dessin de Roberto pour illustrer cette histoire de baleine. 
Baleine.jpg
 
 
 
L'œil charmeur de la Baleine
regardait le plongeur.
L-OEIL-de-la-BALEINE.jpg
 
 
 
C'est après avoir pris connaissance de cette Incroyable Plongée
que Marie FRESSE, une amie dessinatrice et plongeuse, a créé
un dessin dont le graphisme résume parfaitement l'aventure.
Devenu mon logo/tampon de moniteur,
il est tout particulièrement apprécié pour son originalité
par les plongeurs que j'accompagne : 
 
Tampon.jpg
 
Un amour de baleine
qui saisit ma bulle de sérénité entre ses bras.
 
P.S -  L'article suivant (N° 200) vous apportera quelques précisions nécessaires
à la bonne compréhension de ce récit !
 
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M
Oufff quelle aventure, vous avez été chanceux de n'avoir rien eu saurait pu être fatal...<br /> Bise, bon vendredi tout en douceur!
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  • 1283 . Saint-Barthélémy, boire un petit coup au Select.
    On est savant quand on boit bien. Qui ne sait boire ne sait rien. Nicolas BOILEAU (Chanson à boire). Heure creuse au " Select " donc bien le temps de réfléchir au choix de sa commande ! Que diriez-vous de déguster un " K'a-mis-case " entre amis ... non...
  • 1282 . Saint-Barthélémy, trois coins bien connus.
    Il existe certains coins comme ça dans les villes ... Louis-Ferdinand CÉLINE (Voyage au bout de la nuit). Chez Jojo, à la sortie du cimetière de Lorient, où l'on peut boire un coup bien tranquillement, voir se restaurer. Le Bar de l'Oubli à Gustavia au...
  • 1281 . Saint-Barthélémy, le cimetière devenu célèbre..
    Être l'homme le plus riche du cimetière ne m'intéresse pas. Steve JOBS (À propos de la richesse). Sur une toute petite Île des Caraïbes, Saint-Barthélémy, Un coin du cimetière de l'église de Lorient. Lorient, cimetière fleuri. La tombe de Johnny Halliday...
  • 1280. Saint-Barthélémy, les cinq Cimetières.
    On accompagne ses amis jusqu'au cimetière, mais on ne s'enterre pas avec eux. Clara ROJAS (Captive). Le Cimetière marin de Public. Le cimetière suédois de Public. Le cimetière de Saint-Jean près de l'Aéroport. Le cimetière en bord de mer de Lorient. Le...
  • 1279 . Saint-Barthélémy, Îlets et Îlots.
    ... les eaux étaient semées d'îles, d'îlets et îlots qui constituaient l'Archipel ... Jules VERNE (Le Pays des fourrures). À l'entrée de la Baie de Gustavia Les Trois As de Saint-Barthélémy. Ces trois îlots sont aussi connus comme étant les Trois Saints....
  • 1278 .Saint-Barthélémy Sud-Est et Nord-Ouest.
    Est, Ouest, Sud ou Nord, il n'y a pas de différence. Si vous voyagez intérieurement, vous parcourez le monde entier et au-delà. Elif SHAFAK (Soufi mon amour). Grand Cul de Sac se trouve au Sud-Ouest de Saint Barthélémy. L'Anse de Grand Cul de Sac sur...
  • 1277 . Saint Barthélémy et ses belles plages.
    La sieste sur la plage, les yeux vers le ciel, cette grande solitude. Nina BOURAOUI (La Vie heureuse). Lorient l'un des quartiers les plus connus de Saint-Barth avec sa plage et le cimetière ou repose Johnny Hallyday. La Plage de sable fin de Lorient...
  • 1276 . Saint-Barthélémy, quartiers du Rocher.
    Je fais des voyages passionnants dans mon quartier ... Alice PARIZEAU (Les Militants). Chacun des quarante quartiers de Saint-Barthélémy porte un nom relatif à sa position ou qualification dans l'île. Anse des Cayes pour une partie basse, une plage composée...
  • 1275 . Camions de pompiers.
    Le " pimpon " est l'effet Dopler du pimpant camion des pompiers. François ROLLIN (L'Œil du Larynx). Un Camion des Soldats du Feu d'Ukraine devant sa caserne de Kiew. Camion de Pompiers du District de New-York avec compresseur pour l'eau des lances à incendie....