APRÈS LA PLONGÉE
ou
COMMENT NAISSENT
LES POTIONS
MAGIQUES
... car elles réjouissent l’estomac !
Anthelme BRILLAT-SAVARIN.
Avant toute chose, je tiens à vous dire, mes Amis, que les Plongeurs, les vrais, les “comme on n’en fait plus”, les durs, les ceusses qui ont connu les horreurs de la soif après la plongée (ou à l’heure du Ti-Punch), seront seuls autorisés à participer au nettoyage du chaudron par assèchement. Jusqu’à la dernière goutte, tout doit disparaître à seule fin que le bouillon de cette incroyable alchimie ne puisse, en aucun cas, être analysé par une Ligue antialcoolique quelconque.
Ainsi, entre nous, restera le secret du PAPYRUSSE, ce nectar dont le nom évocateur de mystères est aussi trompeur que la suave et troublante douceur due à son élaboration machiavélique.
Quant aux autres, qu’ils se contentent de lire ces quelques lignes en leur souhaitant d'en apprécier le contenu.
C’était “antan-lontan”... à Saint-Tropez...!
Nous rentrions au port après une expédition nocturne de plongée au Sec de La Sèche à l’huile, dont la curieuse dénomination, d'une sobre aridité, semblait déjà prédestinée à sonner l’alarme... Notre bateau, " L’Idéal " frappa ses amarres à l’instant précis où l’horloge de l’église se mit à égrener sur les toits du village la fuite immuable du temps :
Minuit !!!
Dans l’inquiétante moiteur de cette nuit du mois d'août, émanant de l’ombre propice du gaillard d’avant, une voix innocente se fit clairement entendre
- C’est déjà demain ! Eh les gars, ça s’arrose, pas vrai ?
- Oui ! Oui ! répondit l’écho ! (À moins que ce ne fut le chœur bien orchestré des épouses rassemblées sur le célèbre Banc des Menteurs du môle Jean Reveille qui, suivant la geste ancestrale, étaient dans l'attente nerveuse et coutumière du retour à terre de leurs marins de maris... partis... en mer).
Vous savez combien il est difficile de dire NON. Toujours ! Car dieu sait si cette brève locution facilite la vie, le "non” crée surtout des mécontentements ....
Me voici donc sortant verres, tasses et gobelets de la cuisine, une bonne quinzaine... des petits, des grands; il en faut absolument pour tout le monde.
A la suite de quoi, je replonge dans les bas-fonds... du placard à carburant. Damned ! Il est vide !
Pas la moindre petite canette de bière en vue. Disparues les boutanches de vieux Rhum Agricole et de Ratafia des Îles ... évaporé le Whisky Irlandais et le Vrai Pastis de Marseille. Je peux vous l’assurer, une véritable désolation, un authentique désert. Sauf, il faut le dire, un unique flacon de Gin. Le solitaire est là depuis la saison dernière, sans aucun doute abandonné un British amnésique, client sans aucun doute imbibé de rosé de Provence. Ce peu, c’est tout ce qui reste à bord ? Vraiment ?
Voyons voir ! Quoi ? ... Oui, j'entends comme un faible bruit de roulement et de bizarres et indistincts petits chocs. Ils me semblent provenir du placard. Je m'empresse d'ouvrir le casier et là, comment vous expliquer, je vois un objet cylindrique de métal qui tangue au gré du roulis. Ça, de l'alcool... que nenni : un vulgaire bidon de sirop de pêche ! Quel sale temps pour notre réputation. Allons, pas de panique. C’est dans les grands moments... qu’il faut se hisser à la hauteur de l'évènement et trouver LA solution.
A moi de jouer ; “ Concentration ! Vision !! Exécution !!! ” (c’est ma devise préférée).
Tout en réfléchissant, j’aperçois par le hublot notre voisin de bâbord le plus proche, “Le Lumignon”, un solide barque de pêche à voile latine.
Son propriétaire, au patronyme prometteur de "Cliquot " est un ancien scaphandrier pied-lourd en retraite. Chaque après-midi d’été, il arrive vers dix sept heures et monte à bord de son vieux "pointu " afin d’y parfaire sa sieste journalière. Tel un sage, il profite de ces instants de liberté pour se délecter d’un excellent petit vin rosé bien frais : un “médicament” qu’il soutire d’une dame-jeanne rondelette dissimulée en cale sous un lot de filets toujours humides.
Je connais la cachette de la tourie, car, souventes fois, Cliquot m’a fait l’honneur de m’inviter à savourer en sa compagnie ce “Tibouren” gouleyant de Ramatuelle et de bon aloi.
“ Gosier sec n’a pas de conscience ”!
Tel un flibustier, je passe à l’abordage et je m’empare prestement de la précieuse bonbonne clissée.
Vraiment, il y a des jours où tout vous boude !!! Je vous jure, elle est volumineuse, mais bien légère ... presque vide me semble-t'il.
C’en est trop ! Je dirai même “trop peu”, car malgré une impressionnante cargaison de glaçons disponibles à bord, le volume final ne sera pas à la hauteur de la "descente" envisagée.
Black-out total (version originale sous-titrée: je ne dis pas un mot) mais je fais travailler mes méninges.
Eurêka (c’est du grec ancien: j’ai trouvé !).
Oui, un trait de génie ! Breuvage miracle, soit béni des dieux : si c’est pas bon, "y’en" aura assez (beurrrck !) et si c’est bon, "y’en" aura aussi assez (dis donc, c’est costaud ton truc !).
Avec mon précieux butin, je regagne L’Idéal et sa cambuse, alors que sur le pont la révolte gronde... les plongeurs parlent de débarquer ...!
- Hé ! ... Attendez les gars !
Dans l’ombre du carré, bien à l’abri des regards inopportuns, j’officie:
Vaste récipient en aluminium type pot-au-feu, gin, sirop, rosé, glaçons, louche, mixage, essais divers : Gloup!... Aah!... Gloup-gloup !!... Ah-Aaaaaah !!! Parfait, à ne pas en douter c'est du “Ké-bon” !
O.k ! It’s good !” (traduction de c’est bon in English language). Allons z'y !
Tout sourire, je surgis sur le pont et de la voix de stentor que vous me connaissez, triomphant et très solennel, j'annonce :
- Mesdames et Messieurs, j’attire votre amicale attention : Ceci est une première, alors, écoutez bien mon discret conseil : Petit godet, bonne médecine !... Modeste gobelet, très bonne médecine !! Grand verre, très très bonne médecine !!!
Et c’est la vérité car, ainsi que le disait Jacques Prévert et le chantaient si bien Yves Montand et les Frères Jacques ... depuis ce jour... la Fête continue (air connu).
Les festivités succédant aux fêtes, ou l’inverse, on ne sait trop que dire, j’ai affiné la recette.
Un succès véritable, vous pouvez m’en croire. D’ailleurs je vous conseille de vous y essayer. Je le sens, la totale réussite est à votre portée. Pour cela, il vous faut suivre ma méthode à la lettre.
Attention, si d'aventure l’élaboration de ce cocktail par vos soins a lieu en présence de vos hôtes, vous devez agir avec la rapidité requise afin d’en noyer le secret dans le débit et la profondeur de votre conversation. Votre prestige en sera renforcé, c’est moi qui vous le dis.
Voici donc la procédure aussi simple qu’étrange qui ne souffre aucune dérogation, faute de quoi, le " Papyrusse " ne sera pas ce qu’il doit être.
1° Prenez un vaste récipient. Exemple : cocotte minute, profonde bassine en alu, imposant saladier en plastique ou mieux traditionnel couscoussier.
2° Versez dans l’ordre, impérativement :
- Les trois quarts d’un bidon de sirop de pêche blanche (elle est plus goûteuse) de 75 centilitres, “qualité Teisseire”.
- Les trois quarts d’une bouteille de Gin of England d'une contenance de un litre et titrant minimum 37°5 ( distillée par Alexander GORDON de préférence) ou à la rigueur la totalité d'un flacon de 75 centilitres mais en l'occurrence vous ne disposerez d'aucun "petit plus" disponible pour corser certaines doses individuelles.
- La totalité des quatre litres d’un bon vin rosé de Provence.
3° Immergez un bel iceberg dans la mixture, type cube pain de glace.
4° Remuez le tout avec une louche en tournant vigoureusement dans le sens des aiguilles d’une montre (zone nord de l’équateur) afin de créer un spectaculaire tourbillon genre maelström qui réjouira la vue de vos invités.
5° Ne laissez pas réchauffer plus de cinq minutes, sinon le mouillage sera trop élevé.
6° Déposez deux glaçounets dans les verres “à boire” que vous devez prévoir larges, profonds et solides (ce dernier détail si vous portez des toasts).
7° Versez avec dextérité le breuvage à grandes louches dans chaque verre.
Recommandation finale: Boire frais et vite !
Et pourquoi “vite” me direz-vous ?
Ben voyons, pour que ça reste frais, bien sûr !
Par plaisir, l’on peut éviter d’économiser le gin et la pêche. Au quel cas, faites comme moi, forcez sur l’alcool et le sirop dans la première gamelle. Pour les suivantes, le strict nécessaire suffira amplement, croyez-moi.
Ah oui ! Mais pourquoi “PAPYRUSSE”?
Eh bien, à vrai dire, je ne pouvais évidemment pas faire à moins que d’exporter depuis les quais de la Cité du Bailli de Suffren cette jubilatoire et réconfortante prescription pseudo-médicale dans la région bien terrienne de Montargis, là ou les plongeurs, mes vieux copains, me surnomment “Papy”. Et puis, avec Wanda, ma plongeuse favorite et néanmoins épouse unique et préférée, nous avons la bonheur d’avoir un petit-fils au prénom, typiquement russe - Aleksandr - qui rappelle sans aucun doute nos origines slaves. L’assimilation fut vite concrétisée... Jugez-en :
Au cours de la réalisation en grandes pompes d’une cuvée spéciale "Baptême de plongée en Piscine” organisée par le simili quasi-authentique druide ou reconnu comme tel, votre humble serviteur, j’officiais en présence du fameux Clan des Plongeurs Orléanais au logo bien connu d’EVP (Eau Vive et Plongée... ou Pastis... on ne se souvient pas trop !). Après avoir amplement testé les qualités festives de mon breuvage, tous les nouveaux initiés me portèrent un toast et applaudirent en cœur la création de ce “sacré Papy Russe” : le nom de la Potion Magique était offert à la postérité.
Alors, mes Biens Chers Frères, mes Biens Chères Sœurs,
il ne vous reste dorénavant qu’à distiller à votre tour...
Excusez-moi, mes Bons Amis ... Je voulais dire :
À votre bonne santé !
Tradition
Distribution de Papyrusse
aux plongeurs de L'IDÉAL
sur le quai du Vieux port de Saint Tropez en 1983.